Territoire
Diagnostique du site
par Capucine Dufour et Thomas Irasque
Pourquoi ici ?
Lors de la construction de l’Académie Fratellini, Patrick Bouchain et Loïc Julienne ont sollicité Liliana Motta pour intervenir sur les espaces extérieurs. À sa première visite sur le site, elle trouve deux talus et deux fossés déjà submergés par une diversité de plantes vivaces. En réalité, ces espaces maltraités par la désindustrialisation recèlent une grande richesse botanique. C’est en ce lieu considéré comme une friche que s’est développé cet écosystème autonome.
Pour Liliana le jardin existait déjà. Sa volonté était de mettre en valeur ces milieux exceptionnels en isolant, répertoriant, et sélectionnant les espèces végétales remarquables.
Aujourd’hui, l’incompréhension de cette notion de friche jardinée et de cette culture du Dehors persiste. Le jardin n’a de cesse d’être remanié selon des usages contradictoires à sa vocation première, à chaque changement de personnel à l’Académie Fratellini.
En 2011, l’équipe du Laboratoire du Dehors revient sur les lieux. La réflexion in situ, l’élaboration d’une esquisse puis le passage à des actions de jardinage amorceront le travail de revalorisation des espaces extérieurs de l’Académie Fratellini. Un Cahier d’entretien du jardin sera écrit, sous une forme expérimentale, pour faire perdurer la Culture du Dehors.
Le contexte : état des lieux
L’Académie est un lieu orignal et temporaire. Situés sur un parking, solides mais démontables, les bâtiments participent à une logique du spontané et du recyclable. Installés d’abord en marge de la ville, entourés de hangars et d’entrepôts, les lieux sont désormais incontournables : après dix ans d’existence, l’institution à vu son environnement profondément muter. Aujourd’hui englobée dans un nouveau quartier principalement tertiaire et résidentiel, l’Académie reste un garant culturel de ce territoire. Elle est le témoin d’un mode de vie effervescent et communautaire issu de la culture nomade du cirque, contraire à un mode de vie urbain à dominante sédentaire. Elle se démarque de son environnement où la vie de quartier et la citoyenneté peinent à prendre racine, dénuées d’une dynamique porteuse. En effet, à l’échelle métropolitaine il est délicat de poursuivre une logique du ‘‘je travaille là où j’habite’’. L’urbanisme hérité de la Charte d’Athènes dicte les mouvements pendulaires des populations. Par conséquent les usages fluctuent en fonction des heures de la journée.
On aboutit ainsi à une inversion paradoxale : l’urbain se convertit au nomadisme et l’Académie du cirque devient sédentaire.
Cela perturbe la vision du Dehors de chacun.
Cette idée s’illustre aux abords de l’Académie : la journée, des employés, préoccupés par les mono-fonctions ‘‘RER, Bureau, Monoprix’’, n’ont pas le temps de considérer l’espace qui les entoure. Plus tard dans la soirée, les habitants fatigués se pressent de s’enfermer chez eux.
Il est donc nécessaire que le quartier s’ouvre vers l’Académie.
Comment les espaces extérieurs peuvent-ils participer à la mécanique de ce changement ?
Les cadrages depuis les rues adjacentes, les perspectives dégagées dans l’encoche des îlots, le traveling mis en scène par les voies SNCF, éveillent la curiosité. La structure angulaire, cubiste et monumentale de l’Altaïr entre en opposition avec les formes rectangulaires des immeubles avoisinants. L’élévation de ces signes audacieux dans la ville s’inspire directement des rigoureuses contraintes du cirque : faire signe pour attirer les spectateurs.
En revanche les espaces extérieurs et plus particulièrement le talus parallèle à la rue des Cheminots, sont considérablement dévalorisés par un manque de gestion. La méthode d’entretien se résume à un débroussaillage radical et annuel. La suppression de toutes les plantes ‘‘non désirées’’ encourage une forte population d’ailantes, Ailanthus altissima et de clématites des haies, Clematis vitalba à coloniser l’espace. Plantes vagabondes habituées des friches, celles-ci attirent, par un effet de métonymie, l’hostilité des points de vue qu’inspirent ces espaces en déshérence, pourtant creusets d’une richesse écologique. Leur profusion sur le talus provoque un regard péjoratif.
Les passants comme les circassiens jettent des coups d’œil distraits et désintéressés sur le talus embroussaillé. Peu de considération pour cet écosystème, en attestent les nombreux détritus jetés par dessus la barrière. Ces espaces dévalorisés contribuent à faire de l’Académie un lieu disjoint de la ville.
La clôture d’enceinte amplifie cet effet de rupture. À l’origine pensée comme hétéroclite, elle témoigne de la culture du lieu : la diversité des matériaux de récupération utilisés (planches, ganivelles, barrière type Heras) pourrait s’implanter de manière plus rythmée, scénographiant les espaces extérieurs de l’Académie et racontant les arts corporels pratiqués dans l’école. Tombée lors d’une tempête, elle a été rafistolée dans l’urgence. De nombreux piquets de soutènement sont remplacés par des sangles amarrées aux troncs d’arbres du talus, dont certains sont morts. Le Laboratoire du Dehors peut être une opportunité pour remédier à la précarité de la barrière. Sa structure et son dessin doivent être repensés en lien avec le talus. Tout un vocabulaire peut s’écrire en jouant sur les transparences et l’opacité des matériaux présents. En dévoilant le talus aux passants, la clôture serait le relais entre l’Académie et le quartier. Mais la barrière doit aussi assurer la maîtrise des espaces, entre celui concédé au public et celui du spectacle qui va être donné. Les gens du cirque éprouvent le besoin de se différencier du public. C’est ce que nous avons pu remarquer en suivant la compagnie Rasposo, de l’installation au démontage du chapiteau en mai 2010. Ainsi la place du spectateur est rigoureusement dictée par le dessin de limites, tacites mais nettes.
Cette hiérarchie ne s’instaure pas naturellement sur le site de Saint Denis. Les barrières trop présentes à certains endroits font défaut en d’autres lieux. Un des enjeux du projet sera de rétablir l’équilibre, et de redéfinir la notion de limite pour reconstituer la relation des spectateurs au cirque.
Le projet mené du mois de février au mois d’octobre 2011 par le Laboratoire du Dehors suivra trois axes principaux :
– Les espaces frontaux de l’Académie : le talus ainsi que la barrière,
– Les espaces extérieurs de vie : les fossés,
– Un échange pédagogique tout au long du chantier avec les usagers du site.
Structure des espaces
Les espaces frontaux
Ce sont les espaces frontaux, entre bâti et végétal, qui donnent la première impression des lieux. Nous devons leur accorder une attention particulière. Un équilibre subtil doit s’écrire entre la puissance des bâtiments comme l’Altaïr et la fragilité du monde végétal et animal.
Les transformations mises en oeuvre par le Laboratoire du Dehors sur les espaces frontaux porteront sur quatre points :
- Le végétal, et la mise en jardinage de ces espaces.
- La barrière, pour une lisibilité claire depuis la rue.
- Le vivant, avec l’introduction de papillons.
- La question de la circulation du public lors d’un événement.
Pistes de projets
Les talus
Les talus étant un des principaux centres d’intérêt, nous proposons d’y restaurer le milieu écologique maltraité et fragilisé jusque-là par un manque de gestion. La première intervention consistera en un important nettoyage, un éclaircissement de la végétation en place et la suppression des arbres morts. Suite à cette action, nous ferons un inventaire botanique. Nous déciderons par la suite s’il faut enrichir ce milieu par de nouvelles plantations, et le travail de jardinage s’affinera au fil du temps.
Restaurer un milieu écologique ne se résume pas à une amélioration végétale. C’est pourquoi nous proposons une expérimentation de maîtrise de la prolifération des ailantes par un ‘‘sur-pâturage’’ des chenilles du Bombyx de l’Ailante. L’introduction de ce papillon est aussi prétexte à travailler la scénographie du talus avec l’installation de nasses lumineuses : les ‘‘papillionières’’.
Coupes de l’état existant des talus
La barrière d’enceinte
La barrière est constituée de matériaux hétéroclites. Tout en gardant leurs qualités de transparence et d’opacité, nous voulons améliorer le dessin de cette limite. Nous prenons le parti de garder ces différents éléments et de les redistribuer pour instaurer une nouvelle frange, plus ou moins poreuse, entre l’Académie et la ville.
La barrière et le talus fonctionnent ensemble, d’abord parce que ce sont les tronc morts du talus qui soutiennent actuellement les ganivelles. Le remplacement de la clôture, tombée lors d’une tempête, devait être pris en charge par l’assurance de l’Académie Fratellini. Une entreprise a pris contact avec le directeur technique pour envisager une intervention. Mais il nous parait logique que les réparations soient mises en oeuvre par le Laboratoire du Dehors. Aussi, un chiffrage sera effectué par nos soins puis transmis à la compagnie d’assurance pour négocier le financement. Travailler à la valorisation du chemin et du talus ne peut se faire sans une restructuration de la clôture.
Modulations possibles de la clôture
La circulation du public
Actuellement le public entre sur le site du côté de l’Altaïr. Il débouche sur une terrasse bétonnée trop exigüe pour l’accueillir. Les soirs de grande affluence, une partie du flux des spectateurs est dirigé vers une seconde entrée à l’accès confus.
Se pose donc la question de la distribution du public lors des soirs de spectacles. Ne pourrait-on pas envisager de concentrer les arrivants en un seul point pour les redistribuer ensuite, selon des cheminements élaborés à cet effet ? Le chemin bétonné entre le bâtiment d’accueil et le talus est calibré pour les allées et venues des spectateurs : 2m40 de large. Pourtant il est encombré par des éléments techniques (chauffage) qui transforment cette façade en ‘‘arrière-cour’’ dévalorisée. De l’autre côté, le chemin entre la barrière et le talus, lui aussi largement calibré, n’est pas parcouru, coupé par les sanglées et nombreux étais soutenant la barrière.
Nous prenons le parti de réhabiliter ce chemin, plus riche à nos yeux. Nous proposons également d’installer un cheminement léger, sur le talus, permettant d’apprécier le milieu écologique restauré. Ces parcours renvoyés sur les limites de l’enceinte permettent des interactions entre les passants dans la rue et les visiteurs de l’Académie.
Les espaces internes