DE
HORS

Le jardin de la collection nationale de polygonum

par Liliana Motta

Boules

J’ai rencontrĂ© Pierre Lieutaghi lors d’une confĂ©rence au MusĂ©um national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. Il avait Ă©tĂ© invitĂ© par Chantal Gaulin-Schellenberg [1] et George MĂ©tailiĂ© [2] pour raconter « Le passage de la culture sauvage au cultivĂ© dans le milieu mĂ©diterranĂ©en » [3]. Le discours de Pierre Lieutaghi ainsi que les illustrations montrĂ©es ce jour-lĂ  Ă©taient brillantes : sa pensĂ©e est toujours vive et on a, en l’écoutant, l’impression heureuse que son savoir ne vient pas des livres ou d’une Ă©rudition scolaire mais d’un regard amoureux sur ce qui l’entoure, sur ce qui est vivant, d’une vision particuliĂšre du dehors.

Lors de cet hiver de 1999, la collection de Polygonum que j’avais rĂ©unie venait d’ĂȘtre installĂ©e dans la Sarthe dans le jardin des Hautes Haies Ă  Saint-Paul-le Gaultier, dans les Alpes Mancelles au sein du Parc RĂ©gional Normandie-Maine. À la fin de sa confĂ©rence, j’avais posĂ© Ă  Pierre Lieutaghi la question suivante : « Une collection de Polygonum reprĂ©sente-t-elle un apport ou un danger pour la biodiversité ? ». Certes cela n’avait pas de lien direct avec le contenu de sa confĂ©rence et Pierre Lieutaghi n’avait pas voulu rĂ©pondre Ă  cette question, laissant la parole Ă  un historien en Ă©cologie qui se trouvait dans la salle. Cependant, quelques mois plus tard, j’étais invitĂ©e Ă  le rencontrer Ă  Salagon. Cette visite a Ă©tĂ© la rĂ©ponse tant attendue Ă  ma question.

Le nouveau jardin qu’il m’avait invitĂ©e Ă  voir Ă  Salagon, appelĂ© « Le jardin des temps modernes », montre les multiples Ă©changes des hommes et des plantes. Il illustre les apports des flores d’AmĂ©rique, d’Afrique ou d’Asie, qui ont donnĂ© lieu Ă  des changements radicaux dans l’alimentation, l’ornement et l’horticulture en Europe. La visite du jardin, racontĂ©e par Pierre Lieutaghi, a Ă©tĂ© publiĂ©e dans une revue horticole [4], et est devenue un vĂ©ritable « cahier de charges » pour la rĂ©alisation de tous mes propres jardins.

Le jardin des Hautes Haies

Panorama Herve Brunon 1 couleur et taille_1

La collection du jardin des Hautes Haies s’est constituĂ©e autour des genres Polygonum, Reynoutria et Fallopia. D’autres PolygonacĂ©es sont prĂ©sentes : des oseilles, rhubarbes, et sarrasins, souvent plus connus du public. Le jardin des Hautes Haies occupe une superficie d’environ un hectare. L’entrĂ©e du jardin est libre et gratuite, il est ouvert tous les jours en juillet et aoĂ»t. Un plan du jardin, des Ă©tiquettes botaniques ainsi qu’un dĂ©pliant sur les Polygonum facilitent sa visite.

« Collection nationale »

La collection de Polygonum de ce jardin a Ă©tĂ© classĂ©e « Collection nationale » par le Conservatoire français des collections vĂ©gĂ©tales spĂ©cialisĂ©es (CCVS), association qui regroupe et labellise les meilleures collections vĂ©gĂ©tales publiques et privĂ©es spĂ©cialisĂ©es sur un thĂšme botanique. C’est une grande rĂ©compense qui implique par ailleurs certaines responsabilitĂ©s et devoirs. Toutes les plantes de la collection doivent ĂȘtre identifiĂ©es et signalĂ©es par des Ă©tiquettes botaniques. Une base de donnĂ©es est organisĂ©e autour de la collection ; elle doit contenir toutes les informations relatives Ă  chaque plante :
– son origine et le nom du collecteur s’il s’agit d’une plante rĂ©coltĂ©e dans la nature,
– des informations sur son milieu naturel d’origine,
– sa rusticitĂ© et tout autre renseignement sur sa culture,
– son aire de rĂ©partition gĂ©ographique,
– son statut de protection dans le milieu naturel.

Il faut aussi essayer d’assurer la pĂ©rennitĂ© de la collection dans le temps : il est ainsi conseillĂ© de choisir un hĂ©ritier qui puisse continuer l’aventure aprĂšs son premier propriĂ©taire ! La rĂ©colte des graines et leur conservation est aussi primordiale pour la survie de la collection. Une bonne documentation botanique et l’Ă©laboration d’un herbier spĂ©cifique est Ă©galement requise. Au total, la collection est donc jugĂ©e Ă  la fois sur sa qualitĂ© scientifique et sur ses bonnes conditions de culture.

Des graines du monde entier

Les plantes du jardin sont issues de graines provenant de jardins botaniques du monde entier. Nous avons reçu des graines d’Allemagne, d’Angleterre, d’Argentine, des États-Unis, d’Irlande, d’Islande, d’IsraĂ«l, du Japon, de Lettonie, de Madagascar, de Pologne, du Portugal et de Suisse. Tous les jardins botaniques Ă©ditent un Index Semineum oĂč sont rĂ©pertoriĂ©es leurs graines, destinĂ©es Ă  ĂȘtre Ă©changĂ©es avec d’autres jardins. Cet Ă©change de graines est possible chaque annĂ©e grĂące Ă  la collaboration du Jardin botanique et Conservatoire national des plantes Ă  parfum, mĂ©dicinales, aromatiques et industrielles de Milly-la-ForĂȘt. Une fois les graines arrivĂ©es, le Conservatoire de Milly-la-ForĂȘt rĂ©alise pour nous des semis. Les graines sont d’abord semĂ©es dans des pots Ă  l’extĂ©rieur, au froid, Ă  partir du mois d’octobre. Lors de la sortie des deux premiĂšres feuilles, les semis sont replantĂ©s Ă  l’intĂ©rieur d’une serre chauffĂ©e. Au printemps les nouvelles plantes obtenues prennent place au jardin.

[1] IngĂ©nieur CNRS au Laboratoire de Ethnobiologie-Biogeographie du MNHN de Paris↩

[2] Directeur de recherche au CNRS, Centre Alexandre Koyré, MNHN de Paris
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[3] le 19 novembre 1999
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[4] Hommes et Plantes N°34
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