Exception

« L’exception ne transgresse pas la règle, elle la suspend. Elle ne la contredit pas, elle l’interrompt, comme une tempête au milieu de l’été. Elle dit, selon la belle formule d’Henry Lefebvre, l’impossibilité d’exclure l’avènement de l’avenir pour acheter à ce prix la sécurité. Car il ne tient à rien que ce qui doit être n’arrive pas : la règle décrit un monde qui n’existe pas. Paradoxalement, elle n’a prise sur le réel qu’à travers les exceptions dont elle se retire et n’acquiert force de loi qu’en présupposant ce dont elle ne peut rendre raison. L’exception, que la règle engendre par dénégation, ne désigne donc pas simplement ce qui a lieu en dehors de l’ordre : placée de fait en position de reste insistant, elle ne se montre comme telle qu’en se maintenant en rapport à une norme dont, en droit, elle ne relève pas. « Prise dehors », incessamment exposée à sa propre disparition dans l’insignifiance ou le monstrueux, elle met la règle en abîme et l’engage dans un devenir… L’exception découvre des manières de faire différentes, elle dessine des voies de libération vers des futurs sans modèles, elle annonce d’autres mondes possibles. »

Exception

Dans les commandes d’aménagement du territoire que nous recevons comme des problèmes à résoudre, dans la majorité des cas il y a des sites exceptionnels.

Exceptionnels pour nous de part de leur liberté, exceptionnels pour le commanditaire qui n’y voit souvent qu’incompréhension, désordre, confusion. Ces territoires s’extraient de l’ensemble de la ville, d’un ordre, d’une règle. Nous les qualifions d’exceptionnels dans le sens où ils refusent la norme qu’on voudrait leur imposer. Ils sont délaissés parce qu’ils sont trop différents, trop particuliers pour être acceptés tels qu’ils sont.

L’exception est nécessaire et utile socialement, une société qui tenterait de réduire l’exceptionnel deviendrait une société stérile. A la fois contre la règle et confirmation de celle-ci, l’exception promet une ambiguïté source d’émoi et d’admiration.

Pour nous, les chantiers sont des jours exceptionnels, nous pourrions les imaginer comme ces jours de grève générale dans la ville où tout s’arrête et les règles du quotidien n’ont plus à être. Nous parlons avec des gens que nous ne connaissons pas et auxquels nous n’aurions jamais eu l’idée d’adresser la parole. Nous posons des questions à tout le monde, à ceux en uniforme comme à ceux qui traînent l’air désabusé. Toutes les astuces sont bonnes pour arriver à notre but. Cet état d’exception a ses propres règles : humanité, entraide, pas de distinction ni de hiérarchie sociale. Pendant ces journées de chantier, l’état d’exception n’accomplit ni ne transgresse la loi, mais il en crée une nouvelle. C’est dans cette exception humaine et collective que réside le succès du chantier entrepris.