Cette partie est le résultat d’un travail collectif de définition de nos principes d’actions, qui a aboutit à 7 concepts : Expérimentation, Prendre soin, Imperfection, Incertitude, Exception, Improvisation, Réversibilité. Chaque mot a ensuite fait l’objet d’un effort de description et d’explicitation, scientifique, littéraire, poétique ou technique.
Expérimentation
par Sébastien Argant et Liliana Motta
Dans le projet de paysage on voit couramment l’opposition entre celui qui « sait » sans « faire » et celui qui « fait » sans « savoir ». Celui qui serait sur le terrain à faire du « paysage » et celui qui resterait à dessiner, à penser le « paysage » dans son atelier.
Pour sortir de cette dualité et enfin profiter de la fascination d’être dehors et en même temps pouvoir penser, dessiner, s’informer, lire, nous devons inévitablement tenter l’expérimentation comme mode opératoire.
Notre Laboratoire du Dehors est fait de petites expériences, de constatations et de réflexions qui déjà nous font pencher vers l’à venir. Si on définit un « laboratoire » comme un espace dans lequel on maîtrise l’ensemble des variables pour pouvoir ainsi les analyser, le terme semble en contradiction avec la définition que nous accordons au « dehors ». C’est cette idée de contrôle que nous voulons justement mettre à l’épreuve. L’environnement qui nous entoure est instable, incertain, hasardeux. Cette réalité n’obéit à aucune règle, toujours variable et imprévisible.
Le Laboratoire du Dehors exprime notre intention de prendre l’existant comme une ressource pour l’expérimentation. Ordre et désordre, vérité et erreur, raison et folie sont complémentaires. Ce qui compte c’est l’expérimentation et non son résultat. Même un résultat négatif est utile pour progresser. L’expérimentation produit l’erreur et la correction, elle produit la prise de conscience que toute connaissance est inachevée. L’inachèvement n’est pas frustration, c’est au contraire ce qui constamment laisse le champ libre pour enquêter.
Devons nous poursuivre une perfection illusoire avec l’idée d’un ordre prédéterminé de la nature ?
Sommes-nous à jamais des êtres achevés, finis ?
Cette prise de conscience appliquée dans le projet du « dehors » est le passage obligatoire pour penser de nouvelles manières de faire. Nous savons que cette nouvelle manière de faire peut être envisagée tant à la « petite échelle d’une parcelle » que à la « grande échelle du paysage ».
Dans un projet traditionnel, pour répondre à la demande du maître d’ouvrage, dans la plupart des cas nous partons d’une investigation du site, d’un relevé de ce qui s’y trouve mais aussi de ce qui entoure le projet. Ceci donne normalement un diagnostic de « paysage » qui permet, entre autres, d’affirmer le bien fondé du projet que le paysagiste propose à son commanditaire. Il s’ensuit une production de dessins, de plans, de coupes, de perspectives, qui permettent d’exprimer le projet et qui constituent un travail considérable en agence. Le résultat de ce travail amont est connu plus tard après acceptation de principe des études qu’il nécessite : l’avant-projet sommaire, l’avant-projet détaillé ou définitif, précédant le dossier de consultation d’entreprises et les lancements de travaux.
Dans un marché classique, le temps du chantier venu, la présence du paysagiste est épisodique pour contrôler l’avancement des travaux qu’il a dessiné et que la maîtrise d’ouvrage a validé. Et c’est là, à ce moment précis, que le professionnel se retrouve au devant des difficultés d’adaptation au terrain et des inconnus du chantier dont il s’est éloigné durant l’étude.
Le Laboratoire du Dehors expérimente de modestes initiatives de changements au sein même des marchés publics traditionnels et des réponses qu’ils prédéfinissent parfois trop vite du fait de leur « cadre ».
Parallèlement à un travail préliminaire de documentation, de bibliographie et de cartographie, nous attachons une grande importance au relevé de l’existant, sachant d’expérience que ce dernier va forcément mettre en évidence la direction à prendre dans le projet. La description scientifique du vivant et l’inventaire exhaustif des groupements écologiques permettent la description des actions à entreprendre et à chiffrer. Les surfaces quantifiées, la détermination des modalités des actions techniques (manuelles ou mécaniques) suffisent aux entreprises pour répondre correctement au marché public sans avoir à fournir de plan d’exécution précis et de plan de plantation à l’avance. De la même manière la présentation de l’approche au maître d’ouvrage peut se faire sur la base d’un simple dessin de principe là où habituellement selon des règles communes on s’évertue à réaliser les représentations d’un hypothétique résultat prévu d’avance.
On pourrait imaginer que le temps se déplace, donnant plus de présence quotidienne au temps du chantier, présence qu’on aurait économisé en agence en voulant représenter ce qui s’avère dans la majorité des cas imprévisible sur le terrain.
Le cas des Murs à Pêches à Montreuil
Dans des situations où tout projet est paralysé par des intérêts contradictoires et difficiles à démêler à court terme, il faut une autre manière de travailler, celle de la médiation avec les différents acteurs du conflit.
En termes d’animation le travail réalisé sur le terrain permet une approche originale qu’on pourrait comparer à une maquette à l’échelle 1 du projet que la ville de Montreuil veut mener à bien sur le site. Alors qu’il est toujours problématique de comprendre un plan ou de lire une programmation, l’action in situ permet une préfiguration qui installe un climat de confiance vis-à-vis des intentions de la ville sur le devenir des Murs à Pêches. Les chantiers de jardinage attirent toujours des amateurs et des curieux désireux d’échanger et la conversation en est facilitée. De même qu’avec les autres associations qui occupent le site et qui trouvent la démarche novatrice.
Le résultat de l’aménagement fait par le Laboratoire du Dehors, une fois réalisé, est à l’usufruit de tout le monde, l’aménagement de l’espace, les lieux de détente, le mobilier et la signalétique botanique.
Pour commencer nous avons cartographié le cheminement qui relie les deux parcelles que nous avions identifiées comme des espaces publics, des espaces communs parmi le labyrinthe des parcelles privées.
L’entrée par l’impasse Gobétue nous amène à la première parcelle nommée « la Prairie », espace ouvert avec une lisière d’arbustes et de quelques ligneux. Le cheminement amène à la deuxième parcelle, « le Bois », qui peut permettre de sortir Rue Saint Antoine. Cette deuxième parcelle est un espace occupé par des ligneux et du lierre en couvre-sol. Le cheminement présente des aspects divers avec des passages étroits bordés de Clematis alba en abondance. La Prairie est utilisée comme lieu de réunion par les associations et plusieurs projets ont été proposés pour sa gestion (Samuel Lagrandé, Collectif Louise et Michel, Collectif Quatorze). Le Laboratoire du Dehors n’a pas pour objectif l’appropriation ou l’aménagement à long terme des dites parcelles. Le projet proposé à la Mairie de Montreuil concerne le traitement des passages et des limites par un jardinage pré-opérationnel pour préfigurer les lieux en vue du futur aménagement de l’ensemble du quartier des Murs à Pêches.
La Prairie
C’est un espace vastement ouvert, une prairie de graminées fauchées par le soleil en été. Elle est bordée d’une lisière d’arbustes aux qualités ornementales variées, feuillages et fruits. Certains sont persistants et gardent leur feuillage en hiver. Cet ensemble arbustif mérite d’être mis en valeur pour donner un aspect accueillant à cette parcelle. Le rôle de la Prairie est de rassembler pour des moments festifs le tissu associatif dispersé dans les différentes parcelles des Murs à Pêches. Nous souhaitons agir sur le traitement d’un passage vers le cheminement partant de la rue Pierre de Montreuil. Puis nous voulons affirmer et composer les limites de cette parcelle pour l’identifier en tant que lieu collectif pour l’ensemble du terreau associatif présent sur le site.
Le Bois
C’est un espace fermé, constitué d’un boisement de jeunes ligneux filiformes et tapissé d’un parterre de lierre. Les limites sont peu perméables. Seul deux points d’entrée sont repérés : un depuis l’impasse Gobétue et un second depuis l’impasse Villa Saint Antoine. Nous voulons mener une intervention plus minutieuse dans cet îlot boisé. Un enlèvement des arbres morts est nécessaire et pour la plupart une taille de formation s’impose. Un cheminement doit être déterminé pour permettre la circulation dans la parcelle. La volonté est de préserver l’intimité créée par le couvert boisé et de proposer un lieu privilégié pour la détente et la réflexion.
Pour cela nous avons organisé un chantier qui s’est déroulé en association avec des paysagistes de l’École nationale du paysage de Versailles et l’association Halage. Cette dernière pratique une gestion écologique et solidaire de la nature en ville par un échange de connaissances entre les techniciens et les projeteurs du paysage. Après la rencontre de l’association Halage lors du premier Laboratoire du Dehors, nous avons souhaité les inscrire dans notre démarche. C’est pour nous l’occasion de créer une rencontre concrète entre paysagistes et ouvriers dans un partage des connaissances de conception et de mise en œuvre. L’action s’est déroulée après une étude préliminaire du territoire et la rencontre avec des acteurs locaux de la vie associative ainsi que le service des espaces verts de la ville de Montreuil.