Improvisation
par Damien Roger
Quelques jours avant l’inauguration officielle des ménagements faits aux Murs à Pêches de Montreuil, une parcelle boisée se voit ré-ouverte, une desserte créée, une clairière prendre forme. Lorsque l’entrée, une nouvelle adresse, est enfin rendue praticable, nous découvrons une petite parcelle aux allures de nouveau continent. Un hallier de ronces s’étend sur une surface telle que l’ensemble, de loin, passerait pour une prairie. Des vignes de bel âge ont fait corps avec la lisière mitoyenne et partent à l’assaut des frondaisons. Un premier geste fraye un chemin, un second l’élargit. L’envie de profiter de l’ombre d’un érable de belle stature pousse le mouvement jusqu’à son pied. On lui fait la place, il nous la rend.
On cherche alors du soleil près du bois. Les halliers sont rabattus avec entrain afin de céder une place au visiteur. Mais plus les ronciers sont mis à distance, plus on avance vers la lumière, plus le sol se transforme. Une colonie de déchets de toutes natures voit le jour. Nous ne sommes pas les premiers, il y a donc eu des pionniers avant nous, des explorateurs. Ferraille, lit, scooter, cartables, chaussures, télévisions, tout est là.
Que concéder à la réalité du terrain, du moment ? Quelle décision prendre face à ce qui nous apparaît tout d’abord comme un embûche sur notre parcours, une tuile ? Comment se positionner face à ce qui se manifeste ensuite comme une chance, une occasion ?
Notre réaction première se présente avec une rapidité d’emblée douteuse. Il nous faut évacuer cet amas, ce bourrier, la jaille et tous ses adjectifs avec. Nous n’avons pas encore salué l’idée que nous en apercevons la contingence. Nous avions même été jusqu’à envisager – désespoir – de faire affréter bennes, camions. La ville entière aurait pu se mobiliser.
Nous n’avons pas suffisamment de temps, de bras, pas de ressort.
C’est la question du désordre qui finalement nous libère. Nous ne sommes pas ici pour ménager les yeux des passants, ou du moins pas uniquement. Et que ferait-on croire aux gens ? Cette réalité nous intéresse tout autant, voire plus, que l’icône que l’on pourrait y fabriquer de toutes pièces. Faudrait-il éradiquer toute incommodité pour vivre sereinement les lieux ? C’est précisément le lieu, sa singularité qui nous intéresse. Ceci n’est pas une décharge, c’est un endroit, c’est un dehors qui contient une décharge.
Nous passons une journée à formaliser la chose, à la rendre aimable. Nous amassons les débris épars sur un tas qui devient vite monumental. Un déchet est un caillou comme les autres, il y a une véritable science des doigts sous les vieux murs de pierre sèche. Il faut refaire les bords, assembler les pièces, remonter les morceaux, contenir la bête ; et d’ailleurs ce n’est pas un tas, ça ne l’est plus : c’est une colline, un belvédère. Plus que de s’accommoder de sa présence, nous nous faisons à elle et en tirons une fierté certaine.
Cette catastrophe initiale est baptisée: c’est notre Mont-Saint-Michel, ou plutôt ce n’est plus le nôtre, c’est celui des Montreuillois.