DE
HORS

Incertitude

par Liliana Motta

Nous sommes aujourd’hui face à des sciences modestes qui ne cessent de rappeler que leurs résultats ne sont que des vérités temporaires, « falsifiables », susceptibles d’être remises en cause. L’incertitude peut être valorisé positivement. Cette notion d’incertitude doit aussi être incluse dans la gestion de l’espace pour pouvoir imaginer et expérimenter plusieurs scénarii des avenirs possibles.

Dans la ville, la plante comme être vivant est souvent oubliée. La plante est principalement un élément décoratif au même titre qu’un lampadaire, un banc ou tout autre objet urbain. Le végétal devient anonyme, arbre d’alignement, plante à massifs, arbuste taillé.
L’arbre planté devant notre immeuble, comment s’appelle-t-il ?
Pourquoi y a-t-il tant de buddleias le long de la voie ferrée ?
D’où viennent-ils ?

3d incertitude  1_1_1

Le regard trop souvent posé sur le végétal comme un « objet » influence certainement la manière de gérer la nature. Biodiversité, développement durable, voilà des concepts à la mode qui ont peut-être aidé à modifier le discours des gestionnaires de l’aménagement, mais, dans la pratique, les habitudes bien ancrées ont la vie dure. Utiliser moins de pesticides, limiter la pollution, protéger une nature exclusive, ce sont des principes prônés par les ONG de protection de la nature. Les scientifiques qui se prêtent à la bonne cause suivent aussi cette tendance. Loin d’être erronés, ces discours restent souvent réducteurs et portés par des intérêts et des idéologies politiques.

On dénonce par exemple une perte de la biodiversité et, en conséquence, une banalisation du paysage. Mais on oublie souvent d’expliquer dans leur ensemble les éléments historiques, idéologiques et culturels qui nous amènent aujourd’hui à une telle préoccupation sur l’état de notre planète. La part de vérité contenue dans ces principes et la juste cause qu’ils sous-tendent (celle de défendre notre planète) ne doit en aucun cas faire taire l’esprit critique.

Dans nos jardins, dans nos aménagements urbains, nos haies pavillonnaires, le long des aménagements routiers, nous plantons, inlassablement, toujours les mêmes végétaux. En fait, la banalisation du paysage vient aussi de cette tendance à ne pas laisser grandir les végétaux spontanés, ceux qui poussent d’eux-mêmes. Les talus, les fossés, les abords des routes et des champs sont le refuge de quantité de plantes venues du monde entier, de plantes qui ont été chassées des champs par les pesticides ou échappées des jardins, des « plantes du voyage ». La banalisation du paysage n’est certainement pas de la responsabilité de ces végétations spontanées, qui poussent là où on ne les attend pas, ni de la propagation de plantes modestes, venues d’ailleurs et traitées aujourd’hui d’envahisseuses ou encore de « pestes végétales » et qui s’accommodent des sols délaissés. Reste que ces plantes sont aujourd’hui dénoncées, selon un discours scientifique convenu, comme étant l’une des causes de la perte de la biodiversité.

C’est dans cette incertitude que le Laboratoire du Dehors interroge le monde qui l’entoure.

PEUT-ON VIVRE ENSEMBLE ?

peut on

Nous avons visité en février 2012 les parcelles de Murs à Pêches à Montreuil en compagnie de François Fiard, chargé de mission nature et agriculture urbaine à la Mairie de Montreuil et de quelqu’un du CAUE 93.
Le site est exceptionnel et imperceptible depuis l’extérieur. Depuis la rue, personne ne peut se douter de ce qui se passe à l’intérieur de ces murs délabrés. On y accède par l’impasse Gobétue, les chemins sont étroits et tortueux, la végétation est omniprésente, en liberté sur la majorité des espaces.

En terme de foncier les parcelles appartiennent à la ville et à des particuliers, souvent héritiers des anciens horticulteurs. Des parcelles de propriété publique ont été mises à disposition d’associations et de particuliers pour des jardins familiaux, qui par leurs activités ont permis d’entretenir et de faire vivre une partie du site. D’autres parcelles sont encore cultivées par des horticulteurs actifs ou retraités. Certaines parcelles sont occupées, en convention avec la ville, par des gens du voyage ; dans ce cas les parcelles ont des sols minéraux et les caravanes sont organisées autour d’un axe de circulation centrale. D‘autres parcelles sont squattées par des gens qui manquent de moyens, vivant dans une extrême pauvreté. Tout autour, la plupart des parcelles privées sont en friche ou occupées par des entreprises plus ou moins bien adaptées à ce territoire.

Le Ministère en charge de l’écologie a classé le site le 16 décembre 2003 au titre des « Sites et Paysages ». Le périmètre ainsi protégé s’étend sur trois zones, totalisant 8,6 hectares,  soit 20% de la superficie du site. La protection juridique interdit toute destruction ou modification du site, et donc toute destruction des murs sans autorisation ministérielle, ainsi que toute construction étrangère à leur vocation première. Cette mesure ne fait pas l’unanimité, certains propriétaires privés se sentent dépossédés de leur bien, tandis que ceux qui ne sont pas propriétaires et ceux qui squattent craignent un futur déménagement.

Plusieurs projets sont en cours pour réhabiliter le site. La ville et certaines associations défendent l’idée d’une agriculture urbaine tandis que d’autres critiquent vivement tout changement de la friche actuelle. Ces dernières associations ne sont évidemment pas d’accord pour laisser circuler le public librement dans le site, invoquant l’insécurité du voisinage.
On pourrait oublier dans un tel contexte, que ce territoire est un site classé, un patrimoine qui appartient à tout le monde.

De cette expérience une question n’arrête pas de tourner dans ma tête : pourquoi vouloir sauver la planète si nous n’arrivons pas à vivre ensemble ?

3d incertitude  2_1