DE
HORS

Réversibilité

par Laura Roubinet

Le Laboratoire du Dehors aime à travailler des lieux où il a la possibilité d’inventer ses principes d’aménagement.

Cette inclination nous invite à toujours redéfinir notre attitude face à des lieux que l’on ne fait que traverser. Nous les abordons sous l’angle d’une logique esthétique et sociale toujours singulière. On ne s’approprie pas les lieux, on y passe, on en prend soin.

Les différentes phases des chantiers du Laboratoire du Dehors s’échelonnent généralement sur une année, à raison d’une semaine tous les trois mois. Les temps de repos impliquent de multiples réappropriations du lieu, ce qui permet de laisser la place à de potentielles modifications du travail entrepris.

Notre toute dernière intervention aux Murs à Pêches à Montreuil a été la pose d’un panonceau, une énième étiquette botanique, mais détournée de son usage : « Peut-on vivre ensemble ? ». Nous nous posions la question du devenir de ces espaces, parmi ses habitants, de ces « dehors » que le Laboratoire interroge à travers ses recherches.

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Il faut savoir quitter un chantier, trouver la limite de l’expérience. Ne plus revenir sur le travail effectué afin d’ouvrir le lieu à de nouveaux usages ou à un possible retour à la situation initiale. Une brèche est ouverte : la transformation sera acceptée, ou non.  Mais le résultat, sa discrétion, rendent possible le changement.

Le travail réalisé sur le terrain permet une approche originale que l’on pourrait comparer à une maquette à échelle 1 du projet qu’un maître d’ouvrage voudrait mener à bien sur le site. Une préfiguration que l’on pourra arrêter là, modifier ou laisser se défaire. Alors qu’il est toujours problématique de lire un plan ou de comprendre une programmation, l’action dans le terrain rend visible des intentions et installe un climat de confiance vis-à-vis du projet collectif. Le regard sur l’existant est décisif.

Le travail de mise en forme ou de jardinage est une sélection de gestes appropriés pour tailler, ranger et dessiner avec économie. Jardiniers, nous décidons d’arrêter notre geste en considérant avoir atteint une certaine limite au-delà de laquelle le lieu ne pourra pas reprendre son autonomie. Buissons, arbustes, arbres, bosquets, boisements, prairies et talus sont des espaces dessinés par le geste instantané des jardiniers. Cette immédiateté de notre travail sur le terrain est une réaction au présent et au site sans autre intermédiaire que le geste et l’outil. Il n’y a pas ici, entre l’existant et nous, de bureau dans lequel l’usage de la mémoire serait nécessaire et où l’addition des expertises et des négociations dissolvent la réalité des sites dans des volontés de principe et des velléités d’« aménagement ».

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Les lieux sur lesquels nous travaillons, souvent délaissés par l’activité humaine, sont encombrés de restes, de décombres, d’usages clandestins, d’appropriations passagères. Ces lieux « retournés » au sens propre comme au figuré, vedettes d’un temps ou reliquats de paysages ordinaires, finissent sur le bas-côté des villes. Mais le dehors n’aime pas le vide. Que le terrain ait été retourné par un animal fouisseur ou par une pelleteuse – une évolution mécanique de la taupe – les espèces pionnières emménagent. Cette dynamique de couverture du sol sur les terrains pauvres est notre principale alliée dans les ménagements que nous réalisons.
Ces dispositions et les stratégies mises en place par le règne végétal dans les villes semblent indifférentes au contexte : les sols nus se couvrent avec autant d’énergie dans les espaces clos de nos jardins qu’entre les murs d’une ancienne industrie ; avec autant de rapidité que nous imperméabilisons les voies carrossables. Pour autant, ces paysages changent en permanence. Les espèces se succèdent : certaines apparaissent, d’autres s’introduisent, l’une  déménage tandis qu’une autre colonise. Si les plantes s’installent dans les intervalles de la ville, elles n’en restent pas moins nomades. Elles se déplacent, elles aussi. Ces lieux sont des refuges importants pour la nature en ville : ils ont déjà leur vie propre, leur temporalité, leurs cycles ; nous en sommes les jardiniers de passage.

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Les agglomérations s’urbanisent, s’étendent, tout en créant paradoxalement des ouvertures, des lacunes propices. C’est entre autres dans cet étalement discontinu que nous aimons travailler. Les sujets de réflexion, les paysages y foisonnent. L’échelle est petite : celle de quelques hectares, mais les enjeux sont d’ordre territorial. Quel statut la ville et les habitants choisiront-ils de donner à ces lieux, à ces quartiers après notre venue ? Comment les reconnaitront-ils ?